SERIE – Il y a 25 ans: Tiananmen (1/3)

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Mercredi 04 Juin 2014. Cela fait 25 ans que les évènements de Tiananmen se sont déroulés à Pékin. Nous vous proposons, en plusieurs chapitres diffusés chaque jour, de revivre ces évènements d’Avril, Mai et Juin 1989.

Photo: des étudiants venus rendre hommage à Hu Yaobang sur la Place Tiananmen (天安門廣場) le 19 Avril 1989 (AFP).



Episode 1 – Les prémices: changements culturels et mort de Hu Yaobang

A 21 ans, Zhou Fengsuo pensait avoir un futur brillant. « Tout le monde cherchait de nouvelles idées, de nouvelles connaissances », déclare-t-il 25 ans après depuis Austin au Texas où il est en exil. « C’était excitant d’apprendre et de discuter de comment allaient changer nos vies ».

Etudiant en physique à l’Université prestigieuse de Tsinghua à Pékin à la fin des années 80, M.Zhou participait régulièrement à des salons littéraires et à des discussions à propos du futur politique de la Chine. Il se souvient qu’il écoutait avec passion Fang Lizhi, l’un des avocats de la démocratie chinoise des plus influents à l’Université de Pékin. Il s’est aussi exilé aux Etats-Unis.

Cette ère de débats et de rêves d’une nouvelle Chine se termina dans le sang, à l’aube du 4 Juin 1989, quand les chars pénétrèrent sur la Place Tiananmen (天安門廣場). Tout au long des années 80, des universitaires s’étaient permis de remettre en question la culture chinoise de façons inimaginables de nos jours. « Je voulais faire partie de leur monde, car je m’imaginais que c’était eux, qui changeraient le monde chinois ».

1.1 – Remise en question de la culture traditionnelle : River Elegy sur CCTV

Comme de nombreux étudiants, M.Zhou fut poussé à regarder la série télévisée en 6 parties produite par la CCTV (télévision d’état), en 1988. Cette série parlait alors de tous les sujets importants du moment. Ce programme mettait en avant le fait que la culture chinoise était moyenâgeuse et oppressive, et que la société chinoise moderne se devait d’apprendre de l’Occident, si elle désirait achever sa modernisation.

« Ce fut probablement le plus grand moment de télévision qui ne fut jamais diffusée à la télévision chinoise », indique Rana Mitter, professeur d’histoire et politique chinoise à l’Université d’Oxford. « Peu de programmes de télévision ont déclenché un mouvement politique ».

Le programme, diffusé en Juin 1988 sur CCTV, créa une polémique au sein du Parti Communiste. Interdit d’antenne temporairement, il fut pourtant rediffusé plus confidentiellement en Août 1988. A ce moment, le programme fut définitivement interdit.


Vidéo: compilation des six épisodes en un seul de 55 minutes qui fut diffusé à la télévision américaine au début des années 90. Vidéo en chinois sous-titré anglais.

A Taiwan et à Hong Kong, les journaux et les programmes télévisés ont longuement parlé en 1988 des débats sur la fièvre « du fleuve jaune » en Chine continentale. Certains partagèrent les idées développées dans le programme de la CCTV, d’autres, plus nombreux, critiquèrent cependant le point de vue développé, critiquant le parti prix d’une attaque systématique envers le confucianisme. Ils précisaient notamment que Taiwan avait combiné confucianisme traditionnel et démocratie occidentale pour créer un pays moderne, et (à l’époque), un pays qui se trouvait sur la voie de la démocratie.

1.2 – Frustrations et prix galopants

Les urbains étaient frustrés. Les prix des biens de consommation étaient en augmentation et la société connaissait une corruption rampante. Ceux qui avaient leurs entrées au Parti Communiste, profitaient largement de « l’ouverture et des réformes » qui créaient un début de miracle économique. Les autres, la majorité des citoyens, vivaient dans la précarité.

Ma Shaofang, 25 ans, natif du Jiangsu, prenait à ce moment-là des cours d’écriture de scénario à l’Académie Cinématographique de Pékin. « Nous avons découvert qu’il était plus intéressant d’acheter une télévision plutôt que d’aller en cours », disait-il récemment dans une interview accordée à Pékin.

« Les réformes économiques avaient commencé à toucher les fondations du Parti Communiste », précise l’ancien journaliste devenu historien du Parti Communiste chinois, Yang Jisheng. « Après la Révolution Culturelle, le libéralisme avait commencé à fleurir, et c’était la meilleure arme pour attaquer le régime du parti unique. C’était un rêve de démocratie, de respect de la loi, et des vœux de respect d’une constitution égalitaire ».

1.3 – Mort de Hu Yaobang

Une chaine d’évènements cataclysmiques commencèrent quand les nouvelles annoncèrent la mort de Hu Yaobang. L’ancien secrétaire-général du Parti, et avocat clé des réformes politiques, est décédé d’une attaque cardiaque lors d’une rencontre du Politburo. Le Parti avait gardé secret sa maladie du cœur, si bien que l’annonce de sa mort le 15 Avril 1989 fut un choc pour beaucoup.

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Photo: 22 Avril – Manifestation devant le Grand Hall du Peuple lors des funérailles de Hu Yaobang (DR).

Wu Jiaxiang, membre du Comité Central du Parti Communiste, fut immédiatement informé de la mort de M.Hu. M.Wu travaillait au bureau des affaires quotidiennes du parti, quand il apprit la mort de M.Hu dans un hôpital de la capitale. « Nous avons cru que le ciel nous tombait sur la tête », se souvient-il. « La mort de Yaobang était dur à accepter » indique M.Wu. Se souvenant que M.Hu avait été forcé à démissionner de la direction du parti en 1987 après avoir supporté des mouvements estudiantins, M.Wu se souvient de ce qu’il pensa ce jour: « nous étions inquiets du fait que les étudiants pourraient mal réagir à cette information. Je fus rapidement envoyé à l’Université de Pékin pour enquêter. Mais tout était déjà hors de contrôle ».

L’étudiant Zhou jouait à une sorte de jeu d’échecs quand il entendit la nouvelle à l’Université de Tsinghua. Il se précipita à l’Université de Pékin voisine, pour voir comment les étudiants y réagissaient. « Quand je suis arrivé, c’était le chaos. Certains étudiants chantaient l’hymne du Parti Communiste, d’autres accrochaient des Dazibao écrits à la main. J’en ai écrit un moi-même ». Dans les jours qui suivirent, M.Zhou et cinq amis faisaient partie des milliers d’étudiants qui occupèrent Tiananmen.

Le successeur de Hu Yaobang, Zhao Ziyang, écrivit dans ses mémoires: « les étudiants exprimaient leurs désirs de voir se mettre en place des réformes avancées. Hu fut toujours un investigateur de réformes ».

M.Zhou, comme beaucoup, fit son premier discours public à la tribune sur la Place: « Nous qui occupons la Place, nous désirons dire au gouvernement: ‘nous voulons la liberté de presse’, et nous voulons voir ‘mis en place un combat de la corruption’… ça à marché, en tout cas, dans le sens où de plus en plus d’étudiants se reconnaissaient dans ces revendications et rejoignaient nos rangs », se souvient-il.

Le 17 Avril, les étudiants publièrent une pétition envers le gouvernement. Parmi leurs sept demandes, se trouvaient l’abolition de la censure et la déclaration de patrimoine des membres du parti. Le soir du 18 Avril, ils étaient plus de 2 000 sur la Place Tiananmen (天安門廣場). Toutes leurs demandes furent alors ignorées, alors que des manifestations se déroulaient à Nanjing (Nankin), Wuhan et Shanghai entre autres. Xinhua, l’agence officielle, ne publia pas l’information, mais la relaya en interne au sein du gouvernement et du parti.

Le 20 Avril, l’Union des Etudiants Indépendants commencèrent des actions sur les campus des Universités. Feng Congde, un des premiers qui organisa des groupes de manifestation à l’Université de Pékin, indique que leurs première vision n’était pas de mettre en échec le Parti Communiste, mais de demander seulement la liberté de parole et d’association au sein du campus.

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Photo: 22 Avril – Funérailles de Hu Yaobang au sein du Grand Hall du Peuple  (DR).

Les funérailles de M.Hu se déroulèrent comme prévu, le 22 Avril au sein du sombre Grand Hall du Peuple avec 4 000 leaders du Parti . « Hu fut suffisamment brave [...] pour insister sur ce que nous pensions juste », déclara alors M.Zhao dans son oraison. Devant le Hall, une foule de plus de 10 000 personnes défièrent la Police qui dû la disperser.

« Des étudiants chantaient des slogans pro-démocratiques devant les soldats et la Police, ainsi qu’envers les leaders du parti qui entraient dans le Hall pour participer aux funérailles », écrivait le South China Morning Post (南華早報) à l’époque, ajoutant que cette manifestation était parmi la plus importante sur la Place depuis la fondation de la République Populaire de Chine (PRC 中华人民共和国) 40 ans avant.

Pour M.Zhou, cette manifestation était le début du changement. « A ce moment, j’ai pensé qu’il y avait vraiment un désir de changement parmi tous ces étudiants réunis pour une raison ». Alors que certains portaient une copie de la pétition signée, pour pouvoir la transmettre au gouvernement, elle fut à nouveau ignorée •

Lire le chapitre 2: Les médias s’en mêlent. Début des grèves de la faim.

Sunny Chen 陈雅琦
Correspondante à Pékin
sunny.chen[at]taipeisoir.net

Source: « Voice of Tiananmen » (South China Morning Post (南華早報))

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