Mercredi 04 Juin 2014. Cela fait 25 ans que les évènements de Tiananmen se sont déroulés à Pékin. Nous vous proposons, en plusieurs chapitres diffusés chaque jour, de revivre ces évènements d’Avril, Mai et Juin 1989.
Photo: des journalistes du « China Daily (中国日报) » se mêlant aux manifestants en Mai 1989 (DR).
Episode 2 – Les médias s’en mêlent. Début des grèves de la faim.
2.1 – 26 Avril 1989 : L’éditorial du People’s Daily
Le 23 Avril 1989, le Secrétaire Général du Parti Communiste, Zhao Ziyang, est parti pour un voyage prévu depuis des mois, en Corée du Nord. Lors d’une rencontre en privée avec Deng Xiaoping (鄧小平) , M.Zhao avait appelé à une conciliation avec les protestants, et pensait que le Président Deng était d’accord avec lui, écrit-il dans ses mémoires. Durant son absence, la position des dirigeants communistes resta cependant peu claire. Des conflits d’intérêts apparurent entre les différents dirigeants. Le 26 Avril 1989, le journal du Parti, le « People’s Daily », publia en première page une dénonciation sans concession de la manifestation des étudiants, indiquant que le pouvoir ne tolérerait aucune instabilité et que la poursuite du mouvement n’était pas souhaitable. « Nous devons nous opposer à toute déstabilisation », titrait l’article, ajoutant: « un petit nombre de personne avec d’autres desseins, tentent de profiter du décès du Camarade Hu Yaobang pour créer toutes sortes de rumeurs et troubles ».
La une du « People’s Daily » du 26 Avril 1989 (archives DR).
Pour Bao Tong, alors secrétaire de M.Zhao, la mort du réformiste fut une tragédie. « Deng Xiaoping (鄧小平) tentait de jouer sur deux tableaux », dit-il. M.Bao qui était aussi Directeur du Bureau des Réformes Politiques, deviendrait par la suite l’un des plus importants fonctionnaires à être emprisonné au lendemain du 4 Juin. « Beaucoup d’étudiants virent dans cet éditorial un signe du gouvernement qui refusait leurs demandes », indique l’historien Yang Jisheng. « Le ton de l’éditorial rappela aussi à leurs parents les moments terribles de la Révolution Culturelle ».
Le jour suivant, plus de 100 000 personnes prirent les rues de Pékin. Inquiets d’une attaque massive du gouvernement, beaucoup avaient écrit leur testament, mais la Police n’intervint pas, et les laissa occuper pacifiquement la Place Tiananmen (天安門廣場). Au retour de M.Zhao le 30 Avril, 70% des étudiants de la capitale (130 000 étudiants), avaient stoppé les classes. Une union indépendante avait été créée pour coordonner leurs actions. M.Zhao s’aperçu cependant, qu’il avait déjà perdu la bataille au sein du gouvernement. M.Bao se rappelle: « il tentait sans cesse d’obtenir une audience auprès de Deng Xiaoping (鄧小平) , et le secrétaire de Deng lui disait que ce dernier ne pouvait pas le recevoir, du fait qu’il était malade ». Ils se sont finalement rencontrés une fois, en présence du Président Yang Shangkun, le 13 Mai. « Qu’avait fait Deng pendant plus de 13 jours ? », se demande M.Bao, « personne ne le sait avec certitude… Il préparait peut-être les troupes ».
2.2 – Mai 1989 : un anniversaire sensible
Le retour de M.Zhao survint à l’approche d’un anniversaire sensible: le 4 Mai, qui marque le soulèvement des étudiants à Pékin en 1919, un moment fondateur du Parti Communiste chinois. M.Zhao et beaucoup de réformateurs crurent que l’histoire se répétait, 70 ans après. Pour Rana Mitter, auteur de « Bitter Revolution: China’s struggle with the Modern World » : « l’entourage de Zhao en était persuadé, il fallait une réponse réformatrice rapide à ce mouvement. Cependant, les conservateurs de la ligne dure du Parti, avaient une autre réponse: ce mouvement allait mener au chaos, comme la Révolution Culturelle, ils ne voyaient pas ce mouvement comme une libération de la libre pensée ».
Les désaccords dans le Parti devinrent visibles. Lors de l’absence de M.Zhao, la ligne dure avait appelé ce mouvement « une déstabilisation ». Le porte-parole du gouvernement à l’époque, Yuan Mu, avait même précisé aux journalistes étrangers que ce mouvement était manipulé par des agitateurs anti-gouvernementaux. De son côté, M.Zhao loua l’esprit du mouvement de 1919 dans un discours le 3 Mai 1989 et demanda publiquement au gouvernement de s’engager dans un dialogue avec les étudiants. C’était une des demandes clés des étudiants eux-mêmes.
La Place Tiananmen (天安門廣場) a été rendue aux célébrations du 4 Mai, et les étudiants retournèrent sur les campus. Le 5 Mai, 80% des étudiants étaient retournés en classe selon une dépêche de Xinhua de l’époque. Les leaders ne voulaient pas abandonner aussi vite cependant. Les représentants de 24 unions étudiantes indépendantes publièrent alors une pétition pour demander au gouvernement de considérer leurs demandes de dialogue. Le 9 Mai, plus de 1 000 journalistes signèrent une lettre ouverte dans les quotidiens du pays, demandant la même chose.
Photo: mouvement étudiant de 1919 sur la Place Tiananmen (天安門廣場) à Pékin (archives DR).
2.3 – Le conflit s’étend, mise en place de grèves de la faim
Durant l’absence de M.Zhao, les étudiants établirent des organisations où l’on vit des leaders émerger se rappelle Ma Shaofang qui fut l’un d’entre eux. D’autres restèrent célèbres: Wang Dan, 20 ans, major en Histoire de l’Université de Pékin, qui s’était déjà illustré en activisme politique et qui devint l’homme le plus recherché de Chine après le 4 Juin. Il s’est réfugié à Taiwan, tout comme Wuer Kaixi (吾爾開希多萊特), le second le plus recherché, qui fut le premier a se faire frapper par la Police. M.Ma se rappelle avoir été le premier à prendre un haut-parleur pour chauffer la foule en route vers la Place Tiananmen (天安門廣場).
« Mais comme l’anniversaire du 4 Mai était passé, beaucoup d’étudiants étaient repartis en classe, pensant que cette petite agitation s’arrêterait là. Les leaders étaient à court d’idées. Ils avaient 5 options: manifestation (fait), organiser des grèves (fait), organiser des sit-in (fait), organiser des manifestations d’ampleur (fait), organiser une grève de la faim. Jouer cette dernière carte allait désigner un vainqueur, du moins le pensaient-ils » indique M.Ma.
Les étudiants pensaient, à juste titre, qu’organiser une grève de la faim massive sur la Place Tiananmen (天安門廣場), le centre du pouvoir, alors que le Président soviétique, Mikhail Gorbachev devait visiter Pékin allait embarrasser le pouvoir. Gorby, l’architecte de la « glasnost » et de la « perestroika », était le premier leader soviétique à visiter Pékin depuis 1959.
2.4 – Visite de Gorbachev
Un petit groupe incluant Ma Shaofang, Wang Dan et Wuer Kaixi (吾爾開希多萊特) proposèrent alors la grève de la faim. Chai Ling, étudiant en psychologie de 23 ans à l’Université Normale de Pékin, convainquit alors des dizaines d’étudiants de se joindre à la grève. Le groupe, qui considérait cette nouvelle action « pacifiste » comme différente, formèrent une nouvelle union étudiante et mirent en place un Centre de Commande de la Grève de la Faim le 15 Mai. Le nombre de gréviste du début n’a jamais vraiment été indiqué, ils étaient entre 100 et 200.
Le 16 Mai, des centaines de grévistes rejoignirent les premiers. Le soir ils étaient plus de 100 000 sur la Place, par solidarité. Des étudiants arrivaient aussi d’autres provinces, comme Tianjin. Au moment où Mikhail Gorbachev posait le pied à l’Aéroport de Pékin, 2 300 étudiants étaient officiellement en grève de la faim, et ils étaient entourés de plus de 100 000 étudiants solidaires qui les protégeaient sur la Place Tiananmen (天安門廣場). Une proposition de dialogue à l’improviste fut rejetée alors que le gouvernement le proposait à la hâte, les manifestants désirant une diffusion en direct à la télévision. Les autorités organisèrent une réception de M.Gorbachev minimaliste à l’Aéroport. Il n’y eu pas de tapis rouge. Le lendemain de l’arrivée du Président soviétique, M.Ma fut pris d’un malaise, cela faisait trois jours qu’il n’avait pas mangé.
Photo: hôpital de fortune tenu par des étudiants et étudiantes en médecine sur la Place Tiananmen (天安門廣場) (DR).
Quand M.Ma revint de l’hôpital où il avait été réhydraté, le 18 Mai, un million de personnes étaient sur la Place Tiananmen (天安門廣場), selon une estimation du quotidien des jeunes, « Beijing Youth Daily (北京青年报) », qui tenait dans son édition du 19 Mai un constat plein d’espoir: « le peuple construit la démocratie ». La censure venait de s’arrêter alors que des centaines de journalistes et d’employés du gouvernement prenaient fait et cause pour les manifestants, et les rejoignaient sur la Place. Un vent de liberté souffla alors dans de nombreuses rédactions de presse. Des journalistes du quotidien anglophone « China Daily (中国日报) » avaient rejoint la manifestation, et posaient fièrement sur des photos publiées dans le quotidien.
L’une des plus importantes star du rock de l’époque, Cui Jian, vint même soutenir les manifestants en donnant un concert sur la Place. Les hôpitaux fournissaient du matériel et des professionnels de la santé rejoignaient les étudiants en médecine pour soigner et surveiller les grévistes de la faim. Entre le 16 et le 19 Mai, plus de 60 000 personnes des quatre coins de la Chine arrivèrent à Pékin, il ne s’agissait plus seulement d’étudiants, mais aussi de travailleurs. Des entreprises payaient les tickets de train pour leurs employés. Des manifestations eurent lieu dans plusieurs grandes villes du pays. Le phénomène prenait de l’ampleur.
Episode 3 : destitution de Zhao Ziyang et mise en place de la loi martiale
Sunny Chen
Source: « Voice of Tiananmen » (South China Morning Post (南華早報))
La une du « Beijing Youth Daily (北京青年报) » le 19 Mai 1989 (DR).