Mercredi 04 Juin 2014. Cela fait 25 ans que les évènements de Tiananmen se sont déroulés à Pékin. Nous vous proposons, en plusieurs chapitres diffusés chaque jour, de revivre ces évènements d’Avril, Mai et Juin 1989.
Photo: Wuer Kaixi (吾爾開希多萊特) reçu au sein du Grand Hall du Peuple par le Premier Ministre, Li Peng (李鹏) , le 18 Mai 1989 (DR).
Episode 3 : destitution de Zhao Ziyang et mise en place de la loi martiale
Le 17 Mai, Deng Xiaoping (鄧小平) a rencontré plusieurs leaders du parti dans sa résidence privée. Ils se sont alors entretenus longuement sur comment mettre un terme à cette manifestation étudiante. Le secrétaire-général Zhao Ziyang plaida une approche pragmatique, une sorte de « gagnant-gagnant » écrit-il dans ses mémoires. Selon la biographe de Deng Xiaoping (鄧小平) , Ezra Vogel, conclu cependant que la Police à Pékin était insuffisante, et qu’il fallait faire appel aux troupes. Le Premier Ministre Li Peng (李鹏) , et le vice-Premier Yao Yilin avaient alors apporté leur soutient à cette idée, écrit M.Vogel.
3.1 – Réception des leaders au Grand Hall du Peuple
Le 18 Mai, le lendemain du départ de Mikhail Gorbachev, Li Peng (李鹏) recevait des leaders des étudiants, dont Wang Dan et Wuer Kaixi (吾爾開希多萊特) au Grand Hall du Peuple de la Place Tiananmen (天安門廣場) à Pékin. Ce fut la rencontre la plus importante que réussirent à organiser les étudiants. Habillé de façon classique, avec une veste Mao sans apparat, Li Peng (李鹏) fit plaisir aux membres de la ligne dure du parti. Li Peng (李鹏) se garda bien d’annoncer que la loi martiale allait être imposée, alors qu’il le savait déjà probablement. « Je pense que le plus vieux d’entre vous n’a pas 23 ans. Le plus jeune de mes enfants est déjà plus âgé. Nous vous voyons comme nos propres enfants, comme notre sang, notre chair… » leur dit-il alors, tout en les implorant d’arrêter la grève de la faim. Les leaders, notamment Wuer Kaixi (吾爾開希多萊特), répondirent que les étudiants n’attendaient que ça, arrêter leur grève. « Les étudiants arrêteront quand toutes leurs demandes seront satisfaites », déclara M.Wuer.
Des témoins de cette rencontre racontent : « ironiquement, la rencontre fut organisée au sein de la « Salle Xinjiang », M.Wuer étant d’origine ouïghoure [une minorité ethnique de la province du Xinjiang, dans le Nord-Ouest de la Chine: ndrl]. Li Peng (李鹏) est arrivé très en retard à cette rencontre, comme pour affirmer qui avait le pouvoir, et pouvait faire ce qu’il souhaitait ». M.Li fut interrompu plusieurs fois par les étudiants. « Le mouvement actuel n’est plus un simple mouvement étudiant, c’est devenu un mouvement démocratique influant », a indiqué Wang Zhixin, étudiant à l’Université de Sciences Politiques. Ce à quoi le Premier Ministre lui répondit: « Pékin est dans un état anarchique. J’espère que vous comprendrez, étudiants, que vous devrez à un moment, prendre toutes les conséquences de vos actions ».
Photo: des Policiers de Pékin paradant au sein des manifestants pour leur indiquer qu’ils rejoignaient le mouvement. 19 Mai 1989 (AP).
3.2 – Zhao Ziyang destitué; mise en place de la loi martiale
Aux premières heures du 19 Mai, Zhao Ziyang rendit visite aux étudiants sur la Place. Il paraissait fatigué, complètement différent de ce qu’il était quand trois jours auparavant il avait reçu le Président soviétique. Il leur demanda d’arrêter leur grève de la faim. Rétrospectivement, dans ses mémoires, M.Zhao avouait: « je savais que même la fin de la grève n’empêcherait pas la répression qui se préparait. Cela ne changerait rien que la grève de la faim s’arrête ou pas, ou même si certains en mourrait… Le Parti n’en avait rien à faire ». Ce fut sa dernière apparition publique avant qu’il ne soit destitué et envoyé en résidence surveillée.
Photo: Zhao Ziyang sur la Place Tiananmen (天安門廣場) le 19 Mai (AP).
Le 19 Mai à 22h00, le Premier Ministre Li Peng (李鹏) déclara la loi martiale à Pékin durant un discours télévisé. « La République Populaire de Chine (PRC 中华人民共和国) fait face à une grave menace pour son futur et sa destiné », a-t-il déclaré. L’information avait filtré durant l’après-midi, et les étudiants avaient mis fin officiellement à leur grève de la faim. Les troupes armées entrèrent dans Pékin le 20 Mai pour renforcer la loi martiale. Elles furent stoppées par des milliers de manifestants dans les faubourgs de la capitale. « Des étudiants se couchaient dans les rues devant les chars pour les arrêter (…) beaucoup avaient apporté leurs enfants pour montrer que la manifestation était pacifique », indique M.Zhou, ancien leader étudiant.
Dans ses mémoires, Zhao Ziyang se rappelle que Deng Xiaoping (鄧小平) avait décidé de sa destitution lors d’une rencontre le 20 Mai, le jour de l’imposition de la loi martiale. M.Zhao a indiqué qu’il s’était subitement senti isolé. « Personne ne m’avait dit que je serais retiré de ma position (…), bien sûr, depuis plusieurs jours, plus personne ne m’appelait, même pas pour des dossiers de travail ». Son secrétaire, Bao Tong, fut arrêté le 28 Mai 1989. Il fut condamné à 7 ans de prison, qu’il purgea complètement isolé à la prison pékinoise de Qincheng. Depuis sa libération, en 1996, il fut placé en résidence surveillée à Pékin, où il vit toujours. Zhao Ziyang, placé en résidence surveillée en 1989, y mourut en Janvier 2005.
Photo: les troupes prises à partie dans les faubourgs de Pékin par les étudiants. 20 Mai 1989 (AFP).
3.3 – Derniers jours de défis avant la confrontation finale
A la fin du mois de Mai, et l’imposition de la loi martiale, la majorité des étudiants retournèrent en classe. Mais, les confrontations entre ceux qui étaient restés sur la Place et le gouvernement devint de plus en plus intense. De nouvelles demandes de dialogues de la part des étudiants furent refusées. Les troupes furent envoyées dans le centre de Pékin.
Un jeune militaire se souvient de cette époque: « on nous a subitement demandé de nous rendre à Pékin, alors que nous étions en entrainements à la campagne. Dans notre camps, nous n’avions que deux heures d’électricité, nous ne savions pas ce qui se passait à Pékin. Quand nous sommes arrivés à la Gare Centrale, des civils nous ont entouré pour nous demander de ne pas arrêter le mouvement démocrate, mais nous n’avions pas idée de ce dont ils parlaient. Quand je suis arrivé sur la Place, j’ai été, comme beaucoup d’entre nous, étonné et séduit. Ils parlaient de changement, je trouvais que le mot ‘changement’ était un joli mot ».
Le 23 Mai, Yu Dongyue, un jeune journaliste pense tenir un coup d’éclat qui en ferait un héros. Il va en fait être considéré comme une honte pour les manifestants, et son action sera une des rares dont les autres furent peu fiers. Avec deux amis, il mit en place une action visant à dégrader le portrait géant de Mao trônant au dessus de l’entrée principale de la Cité Interdite. A l’aide d’oeufs évidés, remplis de peinture de couleurs, les trois jeunes hommes souillèrent le portrait. Assez rapidement, d’autres manifestants arrêtèrent les trois garçons et les remirent à la Police. Condamnés à de lourdes peines, plus lourdes que les leaders de Tiananmen eux-mêmes, ils furent libérés au début des années 2000. Yu Dongye passa 17 ans en prison, et sorti, mentalement atteint en 2006.
Photo: le portrait souillé de Mao caché par des ouvriers communaux de Pékin le 23 Mai 1989 (REUTERS).
Le 24 Mai, les étudiants mirent en place le poste « Défense de Tiananmen », avec l’étudiant Chai Ling aux commandes. Ils désiraient tenir la Place au moins un mois, jusqu’au 24 Juin, date à laquelle un Comité Central du Congrès National du Peuple (NPC 中國共產黨全國代表大會) devait se réunir. Certains étudiants demandèrent alors la destitution de Li Peng (李鹏) .
Le 28 Mai, l’écrivain influant Liu Xiaobo, suggéra de reprendre une grève de la faim. Son ami Zhou Duo, devenu l’un des quatre gentlemen de la Place Tiananmen (天安門廣場), hésita, puis finalement se laissa convaincre. « De toute façon le gouvernement ne pourra rien faire d’autre que plier et nous écouter », pensait-on alors.
Photo: les quatre « gentlemen », de gauche à droite: Gao Xin, Zhou Duo, Liu Xiaobo et Hou Dejian (DR).
Le 29 Mai, les étudiants commencèrent à ériger la statue de la Déesse de la Démocratie, et le 30 Mai, les manifestants furent rejoints par le chanteur taïwanais Hou Dejian, qui vivait en Chine depuis le début des années 80, et qui était devenu très populaire chez les jeunes. Ensemble, avec Gao Xin, journaliste et membre du Parti Communiste, ils déclarèrent une nouvelle grève de la faim le 02 Juin. « Dans ce combat nous nous opposons à la culture politique actuelle, c’est un combat culturel et moral, les grévistes de la faim désirent utiliser leur conscience et leurs actions pour faire que ce gouvernement se sente honteux, qu’il admette et corrige ses erreurs. Nous appelons maintenant à l’arrêt de la loi martiale et à la mise en place d’une nouvelle culture politique, une culture démocratique ». Le but de cette déclaration faite par les leaders principaux, aidés de Hou Dejian, voulait modifier radicalement le gouvernement pour qu’il s’enracine dans des idées démocrates. Cette annonce fut perçue comme un défi au gouvernement et pourrait être l’un des éléments déclencheurs de la répression sanglante du 04 Juin au matin.
Le 02 Juin au soir, les troupes installèrent des campements proche de la Place Tiananmen (天安門廣場), le gouvernement demandait alors aux médias étrangers de quitter la capitale, et les familles des militaires et des officiels du gouvernement étaient informées qu’ils ne fallait pas s’approcher de la Place Tiananmen (天安門廣場) dans les jours à venir. Le final allait commencer •
Sunny Chen
Source: « Voice of Tiananmen » (South China Morning Post (南華早報))
Photo: construction de la Déesse de la Démocratie le 30 Mai 1989 (AP)