Après avoir été passé à tabac si brutalement qu’il a voulu ensuite mettre fin à ses jours, Chen Keyun a signé une confession écrite dans laquelle il avouait avoir posé une bombe dans un local du Parti communiste chinois.
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PEKIN 北京 (AFP) – Condamné par la justice sur la foi de ce document, il a ensuite été blanchi, mais seulement après avoir passé 12 ans en prison et grâce à un combat désespéré de sa famille pour faire reconnaître son innocence. Le cas de M.Chen, ainsi que celui de très nombreux autres Chinois voués à l’oubli, illustre la face sombre du système pénal d’une République populaire qui, sous l’apparence d’une lutte implacable contre la criminalité, pratique la torture institutionnalisée et engendre des erreurs judiciaires à la pelle.
M.Chen, 61 ans, exhibe les marques qui couvrent ses avant-bras, souvenirs de sa garde à vue où il a été suspendu par des chaînes, ligoté dans des positions douloureuses, forcé de boire des quantités d’eau jusqu’à vomir. « Toute l’affaire a été un coup monté », assure-t-il à l’AFP. « Ils ont exercé leur pouvoir pour extorquer des aveux d’une personne innocente, pour leur intérêt personnel », poursuit l’ancien condamné, assis dans le bureau de son avocat dans la ville de Fuzhou, capitale de la province du Fujian (sud-est). La vie de cet ancien cadre communiste a basculé après une explosion en 2001, qui avait fait un mort dans le bureau d’un service anticorruption de la ville de Fuqing. M.Chen avait été dénoncé comme l’auteur de cet attentat par un de ses subordonnés avec qui il avait eu maille à partir.
Placé en détention avec sa femme et son chauffeur, il avait été soumis à des séances de torture destinées à lui faire avouer qui avait fourni au trio les explosifs. Sous la contrainte, Wu Changlong, le chauffeur, a donné le nom de l’ex-mari de sa soeur, Du Jiesheng, qui a lui-même impliqué une de ses connaissances de travail, Tan Minhua, âgé à l’époque de seulement une vingtaine d’années. M.Du raconte que le jour où il a refusé de signer sa confession, les enquêteurs l’ont conduit en haut d’une falaise, en menaçant de le pousser dans le vide. Jusqu’à ce qu’il cède.
Quelques mois après l’attentat, MM. Chen et Wu en ont été reconnus coupables et condamnés à la peine de mort avec sursis, une sentence vouée à être commuée en réclusion criminelle à perpétuité. Les trois autres accusés ont écopé d’une longue peine de prison. Finalement innocentés en 2013, ils se sont vu proposer en septembre un montant de 4,3 millions de yuans (520.000 euros) en compensation. En Chine, les erreurs judiciaires sont favorisées par la pression pour clôturer les dossiers et le recours à la contrainte pour obtenir des aveux, explique à l’AFP Margaret Lewis, professeur à la faculté de droit de Seton Hall (Etats-Unis). « Les aveux forcés ne reviennent pas cher. Les moyens manquent (pour établir la vérité), beaucoup de pression s’exerce pour résoudre les affaires et bien se faire noter au passage », souligne-t-elle.
En Chine le système judiciaire est sous le strict contrôle du Parti communiste. Son secrétaire général et président du pays, Xi Jinping (习近平), a appelé les fonctionnaires à « permettre à la population de bénéficier de l’équité et de la justice dans chaque affaire judiciaire » •